Scandales jetables, mode d'emploi

Publié le par Hussein NABRI

Ségolène Royal est l'objet d'un véritable lynchage médiatique et rares sont les journalistes et les journaux qui prennent sa défense. Légère, nulle, incompétente, manquant d'éloquence tribunitienne, ... rien ne lui est épargné. Aussi est-il intéressant de tenter de démonter la mécanique. Je vous propose cet article de Daniel Schneiderman paru dans Libération de ce jour. Bernard BREANT Antony, le 26 janvier 2007

Par Daniel SCHNEIDERMANN

QUOTIDIEN : vendredi 26 janvier 2007 8 réactions

Une journée, et puis s'évaporent. La durée de nocivité moyenne d'un scandale de campagne électorale, dans la bulle politico-médiatique, c'est la journée. Ségolène Royal prononce-t-elle entre deux portes une amabilité contournée, et plutôt inoffensive, sur la souveraineté québécoise ? Aussitôt, quel effroi dans la volière ! Roulements de tambour, dépêches d'agence, alertes météo, war rooms en état de vigilance orange, ouverture des journaux radio du matin, reportages au journal télévisé du soir, où la planétaire gaffe se fait une place au milieu des reportages sur les naufragés de l'autoroute enneigée. Et ce n'est pas tout. Exégèses des tables rondes d'éditorialistes sur les chaînes câblées, commande en rafale de prochains sondages, reprises en multidiffusion du procès en incompétence diplomatico-économico-stratégique. Dailymotion et YouTube se garnissent immédiatement, par magie, des phrases en question. Et jusqu'au «Vive le Québec libre !» de De Gaulle à Montréal, qui surgit de sa tombe, en attendant la queue de comète le lendemain matin, avec le déchaînement du carré des éditorialistes de la presse régionale, qui constituent le fond de sauce de la revue de presse de France Inter. Conclusion implicite : on se demande ce qui retient les sarkozystes de demander la traduction immédiate en Haute Cour de justice de cette candidate, qui serait capable de provoquer une guerre avec le Canada. Mais le procès attendra. Déjà, le système malaxe la boule puante du lendemain. Dans l'Empire du scandale jetable, être encore vivant chaque soir, c'est déjà triompher. Pas d'autre maître que le chronomètre. Pas d'autre kit de survie que la vigilance de la «cellule de veille». Toute minute de retard peut être fatale. Hier, c'était la préhistoire. Demain n'existe pas. Vive l'instant ! Encore faut-il viser juste. Il y a des scandales qui «prennent» et d'autres qui glissent. Pour que «prenne» un emballement, le terrain doit être favorable. Par exemple, Royal est présumée attaquable sur l'incompétence, mais non Sarkozy. Ainsi, en visite de lévitation au Mont-Saint-Michel, ce monument de compétence qu'est le candidat de la droite attribue à Mitterrand une réplique de Giscard dans le débat présidentiel de 1974 : «Vous n'avez pas le monopole du coeur.» On n'ose imaginer le déchaînement de sarcasmes éditorialisants, orchestrés par la «cellule de veille», si pareille confusion avait été commise par Royal. Mais là, silence. Simple mention factuelle de l'erreur dans le Monde et Libération. Mieux encore dans le Figaro : la gaffe est passée sous silence dans l'article de l'envoyé spécial. Passez muscade. Ce ne peut être qu'une erreur, due à la fatigue certainement. Un non-événement. A ces scandales quotidiens, la parution des hebdomadaires offre cependant une deuxième vie, mais tout aussi périssable. Sur les patrimoines de Royal et de Sarkozy, par exemple, les «news» français ont enquêté. «Comment ils sont devenus riches», titre l'Express en caractères scintillants. «La fortune des politiques», renchérit le Point sur fond d'une vue imprenable sur une baie retouchée au bleu azur (laquelle ?). On va enfin savoir. Voire. Prenons la maison des Hollande-Royal à Mougins, par exemple. Sur le délicat sujet de son éventuelle sous-évaluation par le couple, il semble que chacun des grands magazines français, dans les pages jaunes des experts immobiliers azuréens, ait choisi celui qui lui convenait le mieux. Le Nouvel Obs nous invite sèchement à ne pas nous attarder devant les hauts murs de la Sapinière : la sous-évaluation de la maison par le couple Hollande-Royal «reste à prouver» . L'Express admet du bout des lèvres, à la fin d'un long article, que les Hollande-Royal «auraient eu tendance à minorer l'état de leur patrimoine» . Mais le Point , lui, dès l'attaque de l'article, tient à narrer sa rencontre avec des experts hilares : «A Mougins, tous les experts immobiliers rient encore de la déclaration de patrimoine de Ségolène Royal.» Et en face ? Même flou. Sur les raisons pour lesquelles Nicolas Sarkozy, propriétaire d'un magnifique appartement de Neuilly avec vue sur la Seine, n'a pas payé l'ISF avant 2005, la sévérité est tout aussi variable, mais inversée. Le même Nouvel Observateur rejette tout aussi sèchement l'explication fournie officieusement par le candidat : la fin du versement d'une indemnité compensatoire à son ex-épouse, «ce qui n'a aucun sens. L'arrêt d'un versement est sans effet, sauf à la marge, sur le patrimoine» . Ni l'Express, ni le Point ne posent même la question sacrilège. Accessoirement, de ces trois articles, il ressort en filigrane que les hebdomadaires ont interrogé individuellement l'entourage de Sarkozy, qui leur a répondu «off the record». Contrairement à sa promesse, le candidat, à l'inverse de sa concurrente, n'a donc pas rendu public son patrimoine. Il s'est contenté de laisser chuchoter par l'entourage des demi-aveux à des confrères, qui s'en sont eux-mêmes contentés. A une exception près, comme d'habitude : le Canard enchaîné, apparemment le seul à faire état explicitement de l'embarras de l'équipe de Sarkozy à honorer sa promesse. «Entrer dans le détail des chiffres, ça me semble délicat», a glissé le directeur de cabinet au palmipède. Affaire close, donc. La date de péremption du scandale est passée.

Publié dans segmond500

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Malgré tout cela , l'ego de Ségo ne cesse d'enfler.Une preuve de plus dans le billet éponyme d'hier sur le blog www.thedino.orgBisous,
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